Par Kevin Lavoie
Cuba est renommé pour ses plages paradisiaques, son rhum, ses cigares et la chaleur de son peuple. Depuis la période dite spéciale, au cours de laquelle le pays s’est résolu à développer le tourisme sur l’île afin de combler l’espace économique laissé vacant après la chute du Bloc soviétique en 1991, les stations balnéaires se sont développées à un rythme effréné sur les côtes cubaines. Dès lors, des millions de touristes, majoritairement canadiens et européens, viennent chaque année se faire dorer la couenne dans le fief de Fidel, orteils dans le sable fin et piña colada à la main. Regard sur ce phénomène qui chamboule les esprits et anime les passions.
Un débat s’est déroulé le 27 mai dernier entre les membres du groupe. Notre objectif était d’affiner nos connaissances sur notre pays d’accueil et de relever les arguments en faveur du tourisme à Cuba et ceux qui dénoncent véhément les dérives de cette activité économique. Nous avons puisés dans certains bouquins pour colliger l’information et nous nous sommes enquis des opinions diversifiés de Cubains et Cubaines. Conscients des limites de notre analyse, nous sommes toutefois restés circonspects par rapport à nos jugements et impressions découlant d’un si bref séjour en terres cubaines.
Ainsi, la nécessité de développer l’industrie touristique en ces temps de disette évoque une réalité difficilement réfutable. Le choix de stimuler l’activité économique du pays par le tourisme semble logique, étant donné son immense potentiel qui titille les envies des Nordistes en quête de paysages exotiques et d’échanges culturels. Qui plus est, la valorisation du cachet architectural des vieux quartiers et la restauration des édifices patrimoniaux sont des éléments qui, de prime abord, réjouissent les explorateurs urbains et contribuent à préserver les lieux historiques. Le risque de déposséder les citoyens cubains de leur milieu de vie au profit de la satisfaction momentanée des touristes est néanmoins un aspect à ne pas négliger. Entouré de restaurants dispendieux, de discothèques branchées et de boutiques bourrées de babioles à l’image du Che, un Cubain pourra difficilement vaquer à ses occupations quotidiennes dans un quartier pris d’assaut par les étrangers de passage. Mais cette réflexion n’est pas circonscrite uniquement à La Havane puisque la même chose se produit dans le Vieux-Québec, haut-lieu des pèlerinages touristiques autour de Château Frontenac…
L’attrait de la diversité culturelle est un vecteur important de la fascination des étrangers envers l’île socialiste, son histoire, ses personnages mythiques, son système politique unique, sa musique envoûtante…et le charme de ses habitantes, que certaines n’hésitent pas à marchander auprès de clients bien excités. Le tourisme sexuel est un phénomène en vogue à Cuba et il endosse des manifestations multiples, dont le jineterismo. Ce dernier correspond à un type de prostitution subtilement travestie en entretien sympathique et amical, mais dont la finalité est essentiellement pécuniaire. Pour contrer ce phénomène, le gouvernement cubain n’hésite pas à surveiller ses citoyens. Par exemple, une Cubaine ne pouvait pas, jusqu’à tout récemment, se rendre dans la chambre d’hôtel d’un étranger. Et encore aujourd’hui, un Cubain qui côtoie les touristes, que ce soit à la plage ou sur la rue, est fréquemment interpellé par les policiers et doit présenter sa carte d’identité pour que ces derniers retracent ses antécédents judiciaires.
Finalement, le tourisme offre des possibilités d’emploi alléchantes pour les Cubains, notamment grâce aux pourboires octroyés en dollars par les touristes. Ainsi, un serveur de restaurant gagnera en seulement quelques jours le salaire mensuel d’un médecin ou d’un avocat. L’envers de la médaille est que plusieurs professionnels cubains délaissent présentement leur carrière libérale pour travailler dans le secteur touristique, privant ainsi la société de leurs compétences et de leur expertise. Qu’un juge qui s’enorgueilli d’une vingtaine d’années de pratique devienne gardien de sécurité pour un hôtel luxueux afin de recevoir un meilleur salaire souligne l’impasse dans laquelle s’empêtre la société cubaine depuis l’avènement du tourisme. L’économie périclitante de l’île incite donc les habitants à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour subvenir aux besoins de leur famille, aux prix de leur aspirations professionnelles et de leurs idéaux socialistes.
Malgré notre bon vouloir et notre désir ardent d’intégration, nous, stagiaires québécois, demeurons des touristes. Certes, nos objectifs de solidarité internationale font en sorte que notre approche est teintée par des valeurs de respect et de curiosité et que notre passage est marqué par des rencontres uniques. Il n’en demeure pas moins que nous sommes étrangers en ces terres et que notre perception est inévitablement nuancée par notre propre culture. Néanmoins, il est vital de favoriser un modèle alternatif du développement touristique qui soit respectueux de la culture d’accueil et responsable en ce qui a trait à l’environnement. En ce sens, un effort de sensibilisation et d’éducation doit être entrepris auprès des Canadiens pour que ces derniers prennent conscience des incidences du tourisme au sein du peuple cubain. La responsabilité du phénomène est partagée ; on ne peut pas oblitérer la nôtre.
2 juillet 2008
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